Nationaliser l’industrie pharmaceutique

Comment l'industrie pharmaceutique joue avec notre santé

(Cet article a été publié sur Twitter sous forme de thread le 4 avril 2020.)

Le coronavirus de Wuhan nous permet vraiment de réfléchir à quel type de société nous voulons. Hier, je disais que j’étais sceptique sur l’utilisation de l’hydroxychloroquine. J’en avais également profité pour dénoncer les conspirationnistes qui pensent que, parce qu’on n’a pas encore accès à l’hydroxychloroquine, c’est parce qu’il existe un immense complot « reptilien » (j’exagère à peine) qui s’amuse avec la vie des gens pour mettre en place un gouvernement mondial. Ces esprits malades pensent même réellement que la pandémie en elle-même est un vaste complot.

Rien de nouveau sous le Soleil de ce côté. Mais, pourquoi en est-il ainsi? Pourquoi ces théories du complot d’un côté et ce scepticisme à l’endroit de l’hydroxychloroquine de l’autre? Pourtant, le professeur Didier Raoult est loin d’être un con. Les autres chercheurs comme lui sont loin d’être des cons eux-aussi. Il est sain de douter mais douter à ce point mérite qu’on se questionne. Cela s’explique peut-être par le fait que la méfiance que nous avons envers le système actuel (méfiance qui a été le pain et le beurre de la vague anti-establishment des années 2010) existe toujours. On ne se méfie pas seulement du virus en tant que tel, on se méfie des gens qui pensent avoir la solution (ou des gens qui disent qu’ils vont bientôt emmener une solution). Je dirais même qu’on se méfie encore plus de ces gens.

Je crois que cette méfiance est alimentée par le fait que ça concerne de très près l’industrie pharmaceutique alors que notre confiance à son endroit est plus qu’ébranlée. On est donc assez réticent à l’idée de devoir lui confier notre survie. Disons le tout de go : l’industrie pharmaceutique nous a donné jadis d’excellentes raisons de ne plus croire en elle. Déjà en 2008, la Commission européenne sonnait l’alarme en lançant un enquête sur les grands laboratoires pharmaceutiques « soupçonnés d’entraver la concurrence afin de retarder la commercialisation de produits novateurs et génériques ». L’enquête visait à déterminer si les entreprises n’avaient pas outrepassé l’interdiction faite par le traité de pratiques commerciales restrictives. Les règlements de litiges liés aux brevets étaient notamment visés. L’enquête visait également à s’assurer qu’aucun obstacle artificiel à l’entrée sur le marché n’avait été érigé. La Commission européenne soupçonnait enfin « l’utilisation abusive des droits de brevet par des procédures contentieuses passibles d’un abus de position dominante ».

Étrangement, on n’a jamais réentendu parler de cette enquête. Pourtant, l’industrie pharmaceutique se faisait clairement reprocher son manque de transparence. Pourtant, c’est de notre santé dont il s’agit. On ne doit pas jouer à la roulette russe avec ça.

Les enjeux économiques autour de cette industrie sont plus grands que nature. Depuis plusieurs années, les grands manufacturiers avalent les plus petits et on ne sait pas quand va s’arrêter la vague de fusions des principaux laboratoires. Si ça continue comme ça, il ne restera plus que deux ou trois grands joueurs qui contrôleront la presque totalité des brevets pharmaceutiques. On me répondra peut-être que cette industrie occupe une place privilégiée dans l’industrie boursière car elle génère année après année des profits faramineux qui font le bonheur des investisseurs. Je veux bien croire qu’il faut créer de la richesse mais lorsqu’une industrie aussi importante que celle-là ne semble pas se préoccuper des effets néfastes de ses produits ou qu’elle ne veut pas coopérer à la distribution de médicaments dans les pays en voie de développement, il est primordial que les gouvernements s’en mêlent. Grâce à ses profits extraordinaires, l’industrie pharmaceutique contribue à faire fructifier les avoirs de ses dirigeants et des grands investisseurs, mais la rationalisation de ses opérations n’apporte absolument rien à la richesse collective.

Est-il normal que les profits de 10 entreprises pharmaceutiques équivalent ceux dégagés par les 500 plus grandes compagnies américaines? Des dizaines de milliers d’emplois ont disparu depuis les dernières années et pendant ce temps, les dirigeants s’en mettent plein les poches. Juste en 2002, le président de Bristol-Myers-Squibb engrangeait un salaire de 75 millions de $ et celui de Wyeth empochait 40 millions de $. Les travailleurs et les citoyens n’y gagnent absolument rien.

Allons au-delà du manque d’éthique. Ce qui doit être dit, c’est qu’avec les moyens plus efficaces dont on dispose, la médecine est devenue une vraie science. On peut VRAIMENT guérir les gens et augmenter l’espérance de vie. C’est un pouvoir énorme qui requiert une immense responsabilité sociale. La santé est donc devenue la première priorité de tout le monde. Or, cette santé a son prix. Et qui dit prix dit aussi des priorités, une occasion d’injustice et d’immenses profits à faire. On ne s’en sort pas.

Récupérant au passage celle de la drogue, qui en est le prolongement naturel, l’industrie pharmaceutique sera, au XXIe siècle, le secteur de l’économie le plus important, le plus innovateur, le plus rentable. Elle sera ce qu’a été l’industrie des armements au XXe siècle et la religion auparavant : une activité dont découlent la vie et la mort comme des effets et dont la peur est une variable à instrumenter.

La pharmacie est l’avenir de la médecine car c’est elle qui porte l’effet multiplicateur de l’industrialisation et qui permet d’espérer une amélioration radicale des traitements sans une augmentation similaire du facteur travail (et donc des coûts) qui limiterait l’application concrète des avancés de la science. Il en découle l’exigence éthique de rendre disponibles au plus tôt les médicaments nouveaux, pour le traitement des pauvres comme des riches.

Toutefois, le progrès de l’industrie pharmaceutique repose sur l’expansion exponentielle des connaissances. Elle ne peut se développer au meilleur rythme et ses résultats être appliqués au mieux que si elle s’appuie sur une recherche intensive. La société a donc aussi l’obligation morale que les découvertes de la science soient diffusées sans restriction, permettant à tous d’aller plus loin et plus vite, plutôt que de reprendre le chemin parcouru par d’autres.

Dans une optique d’industrie pharmaceutique appartenant à des intérêts privés, à cette obligation morale de divulguer tous les résultats de la recherche s’oppose le délai qui doit être consenti et les marges bénéficiaires qui doivent être permises pour permettre l’amortissement des coûts de recherche et une prise de profit raisonnable, tant pour le chercheur que pour l’investisseur qui lui sert de commanditaire.

Cette opposition crée un dilemme qui ne peut être résolu que si la recherche est financée et gérée, non pas dans une perspective de prise de profits, mais dans celle d’un investissement à fond perdu dont le bénéfice se mesure en services. Cette réalité impose donc un seul choix logique pour s’en sortir : la nationalisation pure et simple de l’industrie pharmaceutique, et le plus tôt sera le mieux.

Cette prise en charge de la recherche par la collectivité permettra aussi, accessoirement, de faire l’économie des frais de marketing liés à une exploitation en mode concurrentiel de la vente de médicaments. Ces frais de marketing et de publicité peuvent parfois excéder le coût de la recherche elle-même. Ce marketing et cette publicité peuvent aussi s’apparenter parfois à du lobbying de bas étage. Seulement entre 1997 et 2002, le monde pharmaceutique et médical a dépensé près d’un demi-milliard de dollars en activités de lobbying à Washington.

En 2017, les dix plus gros laboratoires pharmaceutiques au monde ont dépensé 100 millions d’euros en lobbying. En dollars canadiens, c’est plus de 153 millions de $. C’est dire l’influence de cette industrie sur nos gouvernements. On parle clairement ici d’intérêts occultes et non de l’intérêt public. Il faut réduire cette influence néfaste qui pèse comme une chape de plomb sur nos gouvernements à sa plus simple expression, tout comme il est primordial de réduire les coûts de nos systèmes de santé en donnant aux gouvernements élus pour le peuple et par le peuple le contrôle des négociations avec les manufacturiers de médicaments. Pharma-Québec doit donc voir le jour au Québec. Et oui, je crois que tous les pays devraient agir ainsi. Quand on apprend que, juste au Canada et juste en 2018, les gens ont dépensé 39,8 milliards de $ en médicaments, soit le deuxième poste (15,7%) de dépenses de santé en importance, il devient évident que le statu quo n’est plus possible.

Pour réduire cette influence et ces coûts, pour donner ce pouvoir de contrôle à nos gouvernements et pour que le jeu (ou le contrôle) soit d’égal à égal, il faut à tout prix libérer cette industrie de l’avarice, de la cupidité et de la quête du profit à tout prix. La nature humaine étant d’en vouloir toujours plus, cette industrie doit être perméable à cette tare pour qu’on sente réellement qu’elle travaille pour le peuple. Dans ce cas, il n’y a pas 36 solutions. L’intérêt public, le rôle et la nature même de cette activité ne laissent simplement pas ici d’autre solution. Le pouvoir que confère le contrôle de l’industrie pharmaceutique est trop grand. La tentation d’en abuser est trop forte. Son influence est démesurée à un point tel qu’elle peut facilement pirater la démocratie. Son manque de transparence et de coopération quand elle est pointée du doigt et ses actions intéressées quand on lui demande de l’aide ne font rien pour arranger les choses. Il faut nationaliser l’industrie pharmaceutique avant qu’on ne commence à se demander de chaque pandémie (comme on se demande depuis longtemps de chaque guerre) si sa seule raison d’être n’est pas le profit que peuvent en tirer ceux qui ont le pouvoir de les déclencher.

Nationaliser l’industrie pharmaceutique doit donc être une priorité, bien haut à l’agenda de tout parti politique. Et pas juste pour l’après-crise. Je dirais que c’est dès maintenant qu’il faudrait nationaliser l’industrie pharmaceutique car c’est maintenant que nous devons avoir confiance en elle. Cela devrait même transcender la gauche et la droite car il est tout à fait possible de concilier la responsabilité de l’État dans le domaine de la recherche avec la nécessité de préserver la motivation des chercheurs et de leur fournir un cadre d’action entrepreneurial favorable à l’initiative et à la créativité.

Cet article de Pierre JC Allard vous explique tout ça.

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